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dimanche 18 août 2019

Tribune No Fake Science

La tribune originale se trouve ici.



Nous, scientifiques, journalistes et citoyens préoccupés, lançons un cri d’alerte sur le traitement de l’information scientifique dans les médias, ainsi que sur la place qui lui est réservée dans les débats de société. À l’heure où la défiance envers les médias et les institutions atteint des sommets, nous appelons à une profonde remise en question de toute la chaîne de l’information, afin que les sujets à caractère scientifique puissent être restitués à tous et à toutes sans déformation sensationnaliste ni idéologique et que la confiance puisse être restaurée sur le long terme entre scientifiques, médias et citoyens.
 
Dans une démocratie, les journalistes portent une lourde responsabilité, puisque de la liberté dont ils et elles disposent, ainsi que de la qualité de l’information livrée, dépend la qualité du débat public et des choix qui en découlent. La méthode scientifique, de son côté, permet de produire des connaissances fiables pouvant servir de base de réflexion pour les politiques publiques portant sur des questions complexes telles que l’alimentation, la santé publique ou l’écologie [1]. Il apparaît alors évident que scientifiques et journalistes doivent travailler main dans la main : les premiers ne devant pas s’isoler médiatiquement par crainte de voir leurs travaux déformés, les seconds ne pouvant se permettre de travestir ni le travail des premiers, ni les faits.
C’est sur ce dernier point que nous alertons les acteurs et actrices des médias. Nous assistons aujourd’hui à un dévoiement grandissant du travail des scientifiques. Leurs résultats ne sont bien souvent mis en avant que s’ils confortent des opinions préexistantes. Dans le cas contraire, certains iront sous-entendre leur rémunération par un lobby malveillant. Soyons clairs : l’état de nos connaissances ne saurait être un supermarché dans lequel on pourrait ne choisir que ce qui nous convient et laisser en rayon ce qui contredit nos opinions. Il existe en effet des consensus scientifiques sur des sujets aussi divers que :
  • La santé :
    • La balance bénéfice/risque des principaux vaccins est sans appel en faveur de la vaccination [2,3].
    • Il n’existe aucune preuve de l’efficacité propre des produits homéopathiques [4].
  • L’agriculture :
    • Aux expositions professionnelles et alimentaires courantes, les différentes instances chargées d’évaluer le risque lié à l’usage de glyphosate considèrent improbable qu’il présente un risque cancérigène pour l’humain [5,6,7].
    • Le fait qu’un organisme soit génétiquement modifié (OGM) ne présente pas en soi de risque pour la santé [8].
  • Le changement climatique :
    • Le changement climatique est réel et d’origine principalement humaine [9].
    • L’énergie nucléaire est une technologie à faible émission de CO2 et peut contribuer à la lutte contre le changement climatique [10].
Ce ne sont pas de simples opinions. Ce sont les conclusions issues de la littérature scientifique et soutenues par des institutions scientifiques fiables, comme l’OMS, l’Académie Européenne des Sciences, l’Académie Nationale de Médecine, l’Académie d’Agriculture, ou encore le GIEC.
Bien entendu, la science n’a pas réponse à tout. Il existe des questions qui n’ont pas conduit à un consensus clair, voire qui restent sans réponse. Il est alors tout à fait légitime pour un média de présenter et d’expliquer le débat qui a lieu. Si un consensus existe, le ou la journaliste doit être capable de l’identifier, de chercher à le comprendre et à en rendre compte. Il n’est pas souhaitable de donner autant de poids à un fait scientifique dûment établi qu’à sa négation. Il serait par exemple impensable qu’après 15 minutes d’un sujet sur la station spatiale internationale, l’on donne 15 minutes d’antenne à un adepte de la Terre plate.
Nous comprenons que des « marchands de doute », y compris certains scientifiques, aient tenté et tentent encore de détourner le public du consensus. Cependant, les journalistes se trompent de cible s’ils et elles croient que les scientifiques sont leurs ennemis. Ces derniers risqueraient de s’éloigner plus encore des journalistes. Enfin, nous soulignons la différence entre les échelles de temps scientifique et médiatique. La surinterprétation de résultats préliminaires et petites avancées sitôt contredits ou nuancés brouille le message adressé au public. S’il est légitime de chercher à informer dans les délais les plus brefs, cette réactivité peut s’avérer contre-productive, en particulier sans les clés de compréhension de l’actualité scientifique.
Il est urgent que la place de l’information scientifique dans nos médias et dans le débat public soit revue, pour éviter de creuser le fossé entre scientifiques et journalistes. Réfléchissons ensemble à la façon de rendre à la science la place qu’elle mérite. Pour un débat public apaisé et rationnel, pour le bien de notre vie politique, pour nos concitoyens. « La science n’a pas de patrie », nous dit Louis Pasteur. Nous ajoutons qu’elle ne saurait avoir de parti-pris idéologique.

[1] Assemblée Nationale
Résolution sur les sciences et le progrès dans la République. Session ordinaire de l’Assemblée Nationale du 21 février 2017.
[2] Académie nationale de Médecine, Académie des Sciences
Les difficultés de l’information du public sur les vaccinations. Académie nationale de médecine - Académie des Sciences. Novembre 2011.
[3] OMS
10 menaces pour la santé mondiale en 2019. OMS. Consulté le 20 février 2019.
[4] EASAC
L’homéopathie : nuisible ou utile ? Les scientifiques européens recommandent une approche fondée sur la preuve scientifique. Académie des Sciences. Communiqué de presse du vendredi 29 septembre 2017.
[5] EFSA Journal
Conclusion on the peer review of the pesticide risk assessment of the active substance glyphosate. Autorité Européenne de Sécurité des Aliments (EFSA). EFSA Journal, 12 novembre 2015.
[6] FAO
FAO specifications and evaluations for agricultural pesticides - Glyphosate. Consulté le 20 février 2019.
[7] ANSES
Avis de l’Anses sur le caractère cancérogène pour l’homme du glyphosate. 12 février 2016.
[8] OMS
Sécurité sanitaire des aliments - questions fréquentes sur les aliments génétiquement modifiés. OMS. Mai 2014.
[9] GIEC
Climate Change 2013: The Physical Science Basis. Contribution du 1er groupe de travail au 5e rapport du GIEC, 2013.
[10] GIEC
Réchauffement climatique de 1,5°C - Rapport spécial du GIEC. Chapitre 2 : voies d’atténuation compatibles avec 1,5°C dans le contexte du développement durable. GIEC. Consulté le 20 février 2019.
Droit d’auteur : ce texte est disponible sous licence Creative Commons attribution CC BY-ND 4.0 ; plus de détails ici

De nombreuses critiques ont été faites sur cette tribune, vous trouverez de nombreuses réponses à ces critiques dans l'interview d'un des membres créateur de la tribune:


Vous pouvez également retrouver certaines de ces critiques sur un papier de "Les Décodeurs (Le Monde)", et les réponses sur les liens qui suivent:
Les critiques des Décodeurs: Le Monde
Les réponses de No Fake Science: version Twitter, version unroll


Voici également une vidéo et une page de blog qui expliquent plus précisément le problème avec le traitement médiatique des informations scientifiques.
le lien de blog
la vidéo:


Les critiques et leurs réponses sont dans les liens ci-dessus, mais je vais développer le point qui m'a le plus dérangé (ainsi que la raison pour laquelle les rédacteurs de la tribune ne pouvaient pas éviter cette critique)
A titre personnel, je trouve surtout dommage que les sujets donnés en exemple ne sont pas assez mis en perspective et que les tournures de phrases sont alambiquées (ce qui peut passer pour de la manipulation). La raison est que la tribune avait un nombre de signes limités pour être publiée dans les médias, et qu'il fallait un panel d’exemples assez large qui va du consensuel au polémique (pour justifier la critique des médias et faire un peu de bruit, mais aussi conforter le lecteur sur d'autres points)... Donc parler de points spécifiques qui sont moins (mal) traités dans les médias généralistes.
Cette absence de mise en perspective ouvre la tribune aux critiques: "vous présentez les sujets comme des consensus alors qu'ils font encore débat".  Et effectivement il y a encore des débats sur ces sujets, mais pas sur le contenu des phrases...
- "La balance bénéfice/risque des principaux vaccins est sans appel en faveur de la vaccination": ce qui ne veut pas dire que les vaccins sont inoffensifs, seulement qu'ils sont globalement beaucoup plus positifs que négatifs.
- "Il n’existe aucune preuve de l’efficacité propre des produits homéopathiques", ce qui ne veut pas dire qu'il n'y a pas un effet placebo.
- "Aux expositions professionnelles et alimentaires courantes, les différentes instances chargées d’évaluer le risque lié à l’usage de glyphosate considèrent improbable qu’il présente un risque cancérigène pour l’humain" ce qui ne veut pas dire qu'il n'y a aucun effet sur certaines faunes.
- "Le fait qu’un organisme soit génétiquement modifié (OGM) ne présente pas en soi de risque pour la santé" ce qui ne veut pas dire que certains OGM peuvent présenter des risques.
- "Le changement climatique est réel et d’origine principalement humaine" ce qui ne veut pas dire qu'il n'y a pas une part d'origine autre qu'humaine.
- "L’énergie nucléaire est une technologie à faible émission de CO2 et peut contribuer à la lutte contre le changement climatique" ce qui ne veut pas dire qu'il n'y a pas de problème de sécurité ou de déchets.

Je pense que ça aurait moins porté à confusion de préciser les limites des affirmations (mais encore une fois, ils étaient limités par le nombre de signes et la tribune a au moins l'avantage d'ouvrir le débat). De plus, il ne faut pas oublier que le cœur de la tribune n'est pas de défendre un de ces six sujets, mais de remettre en cause la qualité de la science présentée dans les médias généralistes.

[edit]:
Il y a également un podcast de "La Méthode Scientifique France Culture" qui à fait une émission intéressante sur le sujet.
lien vers la page d'origine: ici

De quoi souffre la science dans les médias ? Le journalisme doit-il être remis en cause en ce qui concerne l’actualité scientifique ? Manque de visibilité ? Trop de sensationnalisme ? Manque d’éclairage sur la démarche de la recherche et le travail des chercheurs ?



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